Les blogueurs mode, des hommes d’influences

Auteur: Valentin Pérez

Ils testent de belles cylindrées, dînent dans des restaurants hype, portent les dernières baskets à la mode… Et postent le tout sur Instagram. Ces prescripteurs de tendances disputent la vedette aux blogueuses stars.

En France, une vingtaine d’hommes entre 20 et 30 ans exercent cette activité, à temps plein pour la ­plupart.

Ils vont et viennent sur le podium. Pas toujours assurés, presque étonnés d’être là. Ce 14 janvier, pour la Semaine de la mode homme à Milan, Dolce & Gabbana a troqué ses habituels modèles musculeux pour des stars d’Instagram, « les nouveaux princes », selon les créateurs italiens. Parmi eux, le New-Yorkais Cameron Dallas, 18,8 millions d’abonnés, mais aussi le Français Romain Costa. « L’expérience fut stressante mais valorisante », juge ce diplômé en architecture de 26 ans.

Dans le milieu de la mode, au côté des blogueuses déjà bien installées, émergent désormais les « influenceurs ». Nicolas Simoes, Valéry Escande, Sébastien Doze… En France, ils sont une vingtaine d’hommes, entre 20 et 30 ans, à exercer cette activité, à temps plein pour la plupart. Alors que leurs consœurs en sont déjà aux collections capsule (comme Kenza pour le bijoutier Maty) ou lancent leur propre griffe (Rouje par Jeanne Damas), eux font lentement mais sûrement leur place. Si certains alimentent un blog, c’est surtout « Insta », comme ils disent, qui leur permet de communiquer avec leurs dizaines, voire centaines, de milliers d’abonnés.

Cadeaux en nature ou rémunération

Moins suivis que leurs homologues ­féminines, ils conservent néanmoins une audience suffisamment large pour que des marques leur enjoignent, contre cadeau en nature et/ou rémunération, de mettre en avant leurs produits. « Il y a cinq ans, quand le phénomène a débuté, peu de maisons disposaient d’un budget spécifique pour eux », se souvient Camille Clance, en charge du pôle digital de Pop & Partners, l’une des agences de relations publiques qui jouent les intermédiaires. Mais aujourd’hui, du prêt-à-porter grand public aux griffes de luxe, rares sont les marques qui ne font pas appel à eux : pull Asos ou Eric Bompard, baskets Le Coq Sportif, mocassins Tod’s, tailleur Massimo Dutti… « Je refuse une pièce si elle est quelconque ou ne correspond pas à mon style », assure Matthias Cornilleau, qui mise sur son côté esthète pour se distinguer.

« La mode a été la première à les solliciter et aujourd’hui d’autres secteurs lui emboîtent le pas », observe Agathe Nicolle, ­fondatrice de Woô, agence de marketing digital. Car si les influenceuses sont souvent spécialisées (« blogueuse mode », « beauté », « food »), les hommes embrassent un art de vivre plus global où se mêlent automobilegastronomie, tourisme, horlogerie, beauté, technologie… Ils n’hésitent pas à essayer la dernière Audi, à dîner dans un restaurant branché, se photographier dans la baignoire d’un hôtel 4-étoiles, se filmer avec un drone offert par une marque de high-tech, à promouvoir un service de livraison de repas ou à mettre en scène une destination à laquelle un office de tourisme les a conviés. Mais ils refusent de vanter des préservatifs, des sex-toys ou des déodorants intimes.

L’image de l’homme parfait du XXIe siècle

Elégants mais pas surlookés, concernés mais jamais trop sérieux, nomades et
raffinés, ils semblent incarner l’homme parfait du XXIe siècle. « Il faut faire rêver les gens pour créer du désir, justifie Raphaël Simacourbe, l’un des poids lourds du milieuJe passe moi aussi des soirées à manger McDo avec mes amis, mais ce n’est pas cela que je vais montrer. » Doués pour créer des images esthétiques, ils maîtrisent également le jargon marketing – « quali », « opé », « premium », « cible » – que la plupart ont étudié en licence, en école de commerce ou à Sciences Po.

Alors que leurs collègues féminines ­engagent des agents pour négocier leurs deals, la majorité des influenceurs gèrent eux-mêmes leurs contrats, qui « peuvent stipuler le nombre de posts à créer, un hashtag particulier à indiquer ou la date et l’horaire de publication », explique Valentin Lucas, 243 000 abonnés sur Instagram. A la clé : entre 200 et 1 500 euros en moyenne par placement de produit, en fonction du nombre de ­followers – soit des chiffres équivalents à leurs consœurs, plus suivies certes, mais aussi plus concurrencées.

« LES POSTS“PLACEMENT DE PRODUITS” DONNENT L’IMPRESSION QUE CES BLOGUEURS SONT SURTOUT EN QUÊTE D’ARGENT ET DE NOTORIÉTÉ, PAS SÛR QUE LES MARQUES Y GAGNENT EN PRESTIGE… » BERTRAND JOUVENOT, AUTEUR

Pas toujours familières de l’environnement digital, les marques tablent sur ces influenceurs pour toucher une nouvelle clientèle : la génération Y (18-35 ans). « Elles comptent sur eux pour donner vie à leurs articles, mais ces posts “placement de produits” donnent l’impression que ces blogueurs sont surtout en quête d’argent et de notoriété,grimace Bertrand Jouvenot, auteur de Mode & Internet. Le marketing épinglé (BookSurge, 2009). Pas sûr que les marques y gagnent en prestige… »

Côté résultats, « elles sont souvent déçues, confie une chargée de clientèle dans une agence parisienne. La photopostée n’engendre pas forcément de vente supplémentaire », comme cela peut être le cas pour certaines blogueuses bien identifiées. Tout le monde s’accorde à dire qu’à ce jour, les maisons font moins appel aux influenceurs pour vendre leurs produits que par mimétisme : ayant peur de rater le virage du Web, elles calquent leur stratégie sur celle de leurs concurrents.

Guéguerres entre « rivaux »

Autre difficulté : même si, entre garçons, l’ambiance est « meilleure qu’entre filles, où la jalousie joue davantage », les plus ­installés se plaignent de voir débarquer de nouveaux rivaux qui achètent de faux abonnés par milliers et tirent les tarifs à la baisse. En privé s’échangeraient même messages anonymes d’intimidation et menaces. Jusqu’en 2018, cela devrait rester stable, veut croire David Bellamy, 24 ans. Mais c’est une activité par définition incertaine. »

En juin 2016, Romain Costa, Nicolas Simoes, Raphaël Simacourbe et Nicolas Plasmondon ont fait le choix de créer un compte commun ­intitulé Les Ringards, pour lequel ils décrochent des contrats groupés et où ils se mettent en scène façon bande de potes. « Une manière de centraliser les contacts et d’être plus forts face à la concurrence », reconnaît Nicolas Plasmondon. Au regard de la vulnérabilité du métier, mieux vaut se serrer les coudes.