Auteur: Jeanne Bordeau
Source: https://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2017/11/17376-vos-chatbots-de-bons-rp/
Ils sont dévoués, increvables et de plus en plus efficaces : les chatbots sont devenus incontournables dans la relation client. Mais avant qu’ils ne maîtrisent les subtilités du langage de marque, il y a encore du chemin…
A l’heure du big data et de l’intelligence artificielle, l’art d’écrire et de parler se doit d’être à la hauteur de la sophistication des données collectées sur l’internaute. C’est ce que nous appelons le « language quality data ». Cet art passe par une modélisation du langage, qui doit refléter la ligne éditoriale de l’entreprise et de la marque. Il se doit de transmettre des valeurs et de désigner votre style, votre façon d’être avec vos clients.
Un enjeu d’autant plus important à l’heure du chatbot (« robot qui discute »), qui ouvre la voie au déploiement de nouveaux champs d’expression. Polyvalent, cet assistant virtuel séduisant et à la mode assume des tâches ciblées, répétitives et parfois fastidieuses mais étonnantes. Le chatbot informe, aiguille, vend, assiste, anime et divertit. Conçu au milieu des années 1960, il revient sur le devant de la scène, notamment via le développement des services de messagerie instantanée et des progrès en matière de machine learning (conception d’un système apprenant) et de « deep learning » – une méthode d’apprentissage automatique grâce à des réseaux de neurones artificiels (lire aussi l’article : « Comment les machines apprennent, et pourquoi vous y gagnez »).
Des agents dotés d’une faculté d’apprentissage
On peut distinguer deux grandes catégories de chatbots. La première correspond aux robots à programmation simple, qui repose sur des questions et des réponses prédéfinies par une base de données. La seconde comprend des programmes avec des algorithmes complexes reliés à l’intelligence artificielle. Capables de changer de sujet de conversation et dotés d’une grande faculté d’apprentissage et d’auto-évaluation, ces chatbots, en majorité accessibles via Facebook Messenger, se nourrissent des dialogues qui ont été tenus et les gardent en mémoire.
Ainsi conçu sur un modèle simple de questions-réponses, le chatbot de BlaBlaCar est spécialisé dans la vente : il vise à faciliter les recherches de trajets en covoiturage. S’il n’a pas de nom, il est en revanche réactif, facile à repérer et remplit très bien son rôle d’aiguilleur. La marque s’est ici concentrée sur l’efficacité : le ton du chatbot est neutre.
Elaboré pour trouver des billets de train aux prix les plus compétitifs, le VBot, agent de voyage virtuel de la SNCF, possède également de nombreuses qualités. Sa présentation est brève mais complète. Il détaille la procédure de chaque requête client et prend une posture d’assistant attentif et proactif : « Je m’occupe de trouver les meilleurs prix pour vos trajets en train ». Créateur d’une conversation naturelle et authentique, le Vbot recherche la connivence et la complicité avec l’internaute en alternant subtilement l’énonciation du « je » et du « vous ». Il emploie un style chaleureux et bienveillant : « Aidez-moi à progresser : vous ai-je surpris, fait rire ou énervé ? On se dit tout. » Il a même l’humilité de vous confier qu’il cherche à s’améliorer.
Beautybot, inventé par Sephora pour conseiller l’internaute dans le choix de ses cadeaux de Noël, tisse une relation encore plus aboutie avec le client. Il jongle entre des phrases courtes, interrogatives et exclamatives. Proactif, il utilise une grande variété de tournures, à la fois servicielles (« Je vais vous aider à… ») et conniventes (« Promis, ça reste entre nous »). Mais sa force principale réside dans sa capacité à offrir un produit correspondant au profil de la personne à qui l’on veut faire plaisir. Aussi bien sur la base d’informations objectives, « Quel âge a-t-elle ? », que subjectives ; « Pouvez-vous m’en dire un peu plus sur son style ? ».
Cette tendance à la personnalisation se confirme y compris dans des secteurs où le conseil nécessite d’être plus pointu. La foire aux vins 2017 a fait émerger plusieurs chatbots, tels que Balthus pour Lidl. Il se présente comme un sommelier virtuel à même de vous aider à choisir le vin que vous recherchez. Familier, Balthus s’exprime avec un ton chaleureux et aiguille le consommateur grâce à des questions sur les prix, le type de vin, les appellations, les mets prévus, ou l’occasion (« se faire plaisir », « épater ses amis »). La langue est naturelle, émaillée d’expressions informelles, d’interjections et d’emoji. Balthus et Beautybot partent des besoins de l’internaute, l’impliquent et le guident dans un parcours personnalisé, nourri par un dialogue adapté et spontané.
Dans l’immédiat, malgré leur inventivité, les chatbots peinent à s’extraire du registre des questions-réponses, structuré par une réflexion binaire. Il en résulte une certaine difficulté face aux aléas et aux questions inattendues. Et au-delà des limites techniques, les marques n’ont pas encore réellement accordé le ton du bot avec la langue exprimée sur leur site ou sur les réseaux sociaux. Et c’est dommage quand on veut à ce point personnaliser la relation. Toutefois, cette nouvelle interface de dialogue et d’expression se perfectionne d’heure en heure et offre de nouvelles formes de modélisation du langage (lire aussi la chronique : « Je flunche puis on se skype : comment les verbes de marques investissent notre langage »).
Des robots capables de rédiger seuls des comptes-rendus
Les logiciels d’intelligence artificielle développés par Yseop, utilisés dans le secteur de l’immobilier de bureau par exemple, vont jusqu’à écrire des comptes-rendus de façon autonome. Ces agents artificiels rédigent, grâce à un système de QCM bien pensé, des rapports qui en tromperaient plus d’un.
L’enjeu majeur de la modélisation du langage et de sa maîtrise par des bots suppose néanmoins, sur le fond, d’agrandir le champs de perception des aléas et, sur la forme, d’apprivoiser des nuances de ton. Les mots possèdent des sens multiples et le langage manie l’implicite. Il combine raison et émotion, et possède une dimension sensible (intonation, timbre ou ton et rythme), pour l’instant étrangère à la langue digitale. Dans son dernier livre, « La chute de l’empire humain », le P-DG de Roland Berger Charles-Edouard Bouée confirme d’ailleurs que « L’informatique intelligente peut s’approcher de la compréhension, mais être capable de pensées créatives nécessitera une capacité d’imagination ».